En cette fin d’année 2024, une question anime les amateurs de bande dessinée et les professionnels du droit : le personnage de Tintin va-t-il vraiment tomber dans le domaine public aux États-Unis ? Et les Américains pourront-ils utiliser librement le personnage sans risquer de problèmes juridiques ? La réponse est plus compliquée qu’il n’y paraît, entre droits d’exploitation, droit moral et marques déposées. Explorons les zones d’ombre et les écueils à éviter.
Domaine public aux États-Unis, mais protégé ailleurs
Aux États-Unis, les lois sur les droits d’auteur prévoient une durée de protection de 95 ans pour les œuvres publiées avant 1978. Publié pour la première fois en 1929, le premier album de Tintin (Tintin au pays des Soviets) tombera dans le domaine public américain le 1er janvier 2025.
Cependant, ce domaine public ne s’étend pas à l’international. En Europe, les droits d’auteur sur Tintin sont protégés jusqu’à la fin de l’année 2053 (70 ans après la mort d’Hergé, en 1983). Dans d’autres régions comme l’Asie, la durée de protection peut être de 50 ans post mortem, jusqu’en 2033.
Cette disparité signifie que si un Américain souhaite exploiter Tintin en ligne ou dans un produit diffusé à l’international, il pourrait violer les droits d’auteur en Europe ou ailleurs. Un simple site web ou une plateforme de streaming rend l’exploitation internationale quasi inévitable et expose à des poursuites.
La marque « Tintin » : un autre obstacle de taille
Le nom « Tintin », ainsi que des éléments visuels associés, sont protégés par des marques déposées par Moulinsart SA, la société qui gère les droits commerciaux de l’œuvre d’Hergé. Cette protection reste valide tant que la marque est exploitée et renouvelée.
Aux États-Unis, un producteur pourrait utiliser le nom « Tintin » comme titre d’une création artistique (par exemple, un film ou une bande dessinée), car la loi américaine sur les marques laisse une certaine marge pour les usages artistiques. Cependant, il lui serait impossible d’utiliser « Tintin » pour des produits dérivés (jouets, vêtements, etc.) sans enfreindre les droits de marque. Toute confusion avec les produits officiels de Moulinsart SA serait également susceptible de poursuites.
Les personnages et éléments créés après 1929
Si Tintin au pays des Soviets entre dans le domaine public en 2025, ce n’est pas le cas des albums et personnages créés après cette date. Par exemple :
- Les cheveux roux de Tintin n’apparaissent qu’à partir de Tintin en Amérique (1931).
- Des personnages iconiques comme le Professeur Tournesol (1944) ou la Castafiore (1939) restent protégés par le droit d’auteur jusqu’à 2053 en Europe et ailleurs.
Ainsi, même une exploitation basée uniquement sur Tintin au pays des Soviets pourrait être restreinte si elle inclut des éléments visuels ou narratifs ajoutés dans des œuvres ultérieures.
Le droit moral : une protection perpétuelle en France
Le droit moral est une arme redoutable pour les ayants droit d’Hergé. En France et dans d’autres pays européens, ce droit est perpétuel et inaliénable. Il inclut notamment :
- Le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre : Toute modification ou dénaturation du personnage peut être sanctionnée.
- Le droit de paternité : Hergé doit être reconnu comme le créateur.
Prenons un exemple :
- Si Tintin est utilisé en dehors de son contexte habituel, par exemple avec d’autres héros de bande dessinée, une atteinte au droit à l’intégrité de l’oeuvre pourrait être caractérisée.
- Si Tintin est utilisé sur un T-Shirt sans que Hergé ne soit cité, alors une atteinte au droit de paternité serait caractérisée.
Tintin est bien dans le domaine public américain, mais à haut risque
Pour un producteur américain, l’idée d’exploiter librement Tintin à partir de 2025 ressemble à une aventure hasardeuse. Entre les droits d’auteur protégeant les œuvres à l’international, les droits de marque soigneusement défendus par Moulinsart SA et le droit moral perpétuel exercé par Fanny Rodwell, les risques juridiques sont considérables.
Ce casse-tête juridique n’a peut-être pas de solution au regard de cette difficulté :
- Si un producteur américain représente Tintin avec une mèche rousse issue d’un album postérieur à 1929, cela pourrait violer les droits d’exploitation sur cet élément particulier.
- Si ce producteur change la couleur des cheveux de Tintin, il risquerait d’être attaqué pour atteinte au droit moral, car cela dénature l’apparence du personnage telle qu’elle a été définie par Hergé.
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