Interview d’Etienne Deshoulières et Jérôme Giusti, fondateur du centre d’arbitrage FastArbitre, parue dans La Semaine Juridique Edition Générale n° 42, 17 octobre 2016, 1120.
Pourquoi créer une plateforme d’arbitrage dédiée aux entrepreneurs ?
Jérôme Giusti : Les contentieux entre entreprises représentent un frein au développement économique. Une procédure classique en première instance devant les tribunaux de commerce atteint en moyenne une année et coûte près de 20 000 euros. C’est bien trop cher et bien trop long pour la plupart des litiges des petites et moyennes entreprises. Notre souhait est de simplifier l’accès à la justice pour les entrepreneurs.
La plateforme FastArbitre répond à ce défi. Notre promesse est d’offrir un accès à la justice moins cher, plus rapide, et totalement dématérialisé ! La plateforme est ainsi née de l’association entre des avocats, des magistrats, des médiateurs et des business developers des LegalTechs qui sont convaincus qu’il est possible pour les entrepreneurs de régler leurs litiges rapidement et efficacement, tout en restant concentrés sur leur business. Notre équipe a passé de longs mois pour concevoir et réaliser cette plateforme dans le but de proposer à ses utilisateurs une méthode originale qui leur permet d’exposer et de défendre leurs cas en justice, le plus simplement et le plus naturellement possible.
Notre volonté est de démocratiser les procédures d’arbitrage dans l’ensemble du tissu économique. L’arbitrage n’est pas réservé aux grands groupes multinationaux ou aux affaires dont les enjeux se mesurent en millions d’euros. L’arbitrage peut devenir un mode de résolution des litiges entre entreprises, innovateurs et autres startupers. Que ce soit des litiges commerciaux, des contentieux autour de la propriété industrielle, des différends entre associés ou avec les investisseurs, tous les accidents juridiques qui obèrent le développement du business ont vocation à être traités par FastArbitre.
Quels sont les avantages pour l’entreprise de ce mode numérique de résolution des litiges ?
J. G. : Tout nouveau service doit répondre aux besoins, s’adapter aux usages et préférences, mais également correspondre aux comportements de l’audience visée (les entrepreneurs, les juristes et les conseils). Le principe qui nous a guidés a été de bâtir un service innovant pour qu’il soit utile et utilisable par le « profane » comme par le juriste. La plateforme en ligne FastArbitre a pour objectifs :
• de rendre une sentence arbitrale exécutoire dans un délai de deux mois à compter de la saisine du tribunal arbitral ;
• de faciliter l’accès à la justice en proposant des prix raisonnables, adaptés à l’enjeu et à la complexité du litige ;
• de garantir que le litige sera tranché par un arbitre bénéficiant de compétences étendues et d’une expérience éprouvée dans le domaine contentieux en question.
Étienne Deshoulières : Au-delà des avantages reconnus de la procédure d’arbitrage traditionnelle, FastArbitre propose trois innovations techniques qui nous différencient nettement de la justice étatique. En premier lieu, nous avons modélisé les litiges entre professionnels au moyen de formulaires interactifs. À chaque étape, nous guidons l’utilisateur et lui proposons de renseigner des évènements-types et de formuler des demandes-types. En second lieu, les informations collectées sont organisées chronologiquement pour faire apparaître une cartographie du litige. Les faits contestés, qui apparaissent en rouge, permettent aux utilisateurs de visualiser immédiatement le nœud du litige. Enfin, l’arbitre rend une pré-sentence, qui peut faire l’objet de commentaires et de communications complémentaires par chaque partie. Ce fonctionnement interactif permet d’instaurer un débat horizontal entre les parties et l’arbitre, qui s’oppose à la relation souvent verticale qu’entretiennent les parties avec le juge étatique.
Un logiciel peut-il respecter les grands principes de l’arbitrage ?
E. D. : La procédure d’arbitrage sur la plateforme est bien évidemment régie par un règlement d’arbitrage qui respecte les règles impératives du Code de procédure civile. Mais ce règlement d’arbitrage n’a pas besoin d’être lu en détail pour utiliser la plateforme. Le legal design et l’architecture de la plateforme remplacent la lecture fastidieuse du règlement d’arbitrage. Finalement, le code informatique (la plateforme) remplace le code juridique (le règlement d’arbitrage), en offrant un environnement intuitif aux utilisateurs.
Ce code informatique est conforme aux règles juridiques, et notamment aux principes directeurs du procès énoncés par le Code de procédure civile.
Les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à fonder leur prétention (CPC, art. 6) et de fournir les pièces correspondantes (CPC, art. 8). Mais contrairement aux tribunaux étatiques, elles n’ont pas besoin de respecter le formalisme de l’assignation ni à faire signifier leurs actes par voie d’huissier. Le logiciel guide l’utilisateur pas à pas, en s’affranchissant du formalisme judiciaire. Il n’y a plus besoin de greffiers ni d’audiences de procédure, c’est le logiciel lui-même qui permet d’instruire très largement le litige. C’est seulement en fin de processus que l’arbitre intervient, afin de poser des questions aux parties pour compléter le dossier.
L’arbitre peut alors inviter les parties à fournir toutes explications de fait (CPC, art. 8). Il peut le faire en ouvrant un débat sur une pièce, en posant des questions aux parties ou en prenant des ordonnances de procédure (CPC, art. 10). À nouveau, le processus se différencie du débat judiciaire étatique, en ce qu’il permet d’ouvrir des espaces de discussion réellement interactifs.
En toutes circonstances, les parties et l’arbitre observent le principe de la contradiction (CPC, art. 16). La plateforme les contraint à respecter les règles d’un débat contradictoire, tout ce qui est échangé sur la plateforme étant accessible pour les parties et l’arbitre dans leur espace personnel et notifié par email. In fine, ce seront les juridictions étatiques qui, saisies dans le cadre d’un recours en annulation, garantiront le caractère équitable de la procédure sur notre plateforme (Convention EDH, art. 6).