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Facebook vs. Fuckbook : condamnation pour contrefaçon et concurrence déloyale

par | 16 Avr 2025 | Propriété intellectuelle

Dans un arrêt récent (Cass. com., 26 mars 2025, n° 23-13.589), la Cour de cassation a rappelé qu’un même acte matériel peut constituer des faits distincts et donner lieu à une double action, notamment en contrefaçon de marque et en concurrence déloyale. L’affaire opposant le réseau social Facebook à un site de rencontres nommé Fuckbook met en lumière l’importance de différencier la protection conférée par la marque des autres signes d’identification (nom commercial, nom de domaine). Décryptage d’une décision qui clarifie la portée de ces deux actions complémentaires.

1. Contexte de l’affaire : quand l’ombre de la confusion plane

Pour bien comprendre la portée de la décision de la Cour de cassation, il faut se plonger dans l’univers en apparence décalé de l’affaire : la société Meta, propriétaire du réseau social Facebook, poursuit la société Cargo Media, qui exploite un site de rencontres pour adultes baptisé Fuckbook.

La première reproche à la seconde une atteinte multiple à ses droits :

  • D’une part, la contrefaçon de la marque « Facebook ».
  • D’autre part, la concurrence déloyale, du fait notamment de l’usage du signe « Fuckbook » en tant que nom de domaine et nom commercial.

Le parallèle entre les deux signes – Facebook et Fuckbook – a de quoi surprendre. Certes, l’objectif des deux services paraît très différent : un réseau social grand public d’un côté, un site de rencontres à caractère sexuel de l’autre. Mais aux yeux de Meta, l’utilisation d’un nom si proche du sien suscite un risque de confusion et exploite indûment la notoriété mondiale de Facebook.

Pourquoi parler de confusion ?
La confusion peut survenir lorsqu’un internaute, voire un utilisateur potentiel, croit que le service Fuckbook est lié ou associé d’une manière ou d’une autre à Facebook. Cette confusion porte atteinte tant à la marque (protégée par le droit des marques) qu’à l’image et à la réputation de la société Meta (protégées par le droit de la concurrence déloyale).

Un public potentiellement commun
L’une des questions soulevées par la société Cargo Media était de savoir si le public concerné par le site Fuckbook – à savoir majoritairement des adultes de sexe masculin cherchant des partenaires – pouvait être assimilé au public plus vaste de Facebook. La Cour de cassation a validé la position des juges du fond qui estimaient que ce public spécifique s’insérait bel et bien dans la large audience ciblée par Facebook.

Ce premier point est crucial : même si l’on pourrait intuitivement penser que les deux plateformes ne s’adressent pas au même public, la frontière entre les utilisateurs n’est pas si étanche. En somme, un utilisateur de Facebook peut très bien être intéressé par un site de rencontres, et vice versa.


2. De la contrefaçon de marque : la protection d’un signe distinctif

La contrefaçon de marque, c’est la reproduction, l’imitation ou l’utilisation non autorisée d’une marque protégée, de manière à créer un risque de confusion dans l’esprit du public. Pour caractériser la contrefaçon, plusieurs éléments sont examinés :

  1. L’existence d’une marque antérieure valable, en l’occurrence « Facebook ».
  2. Un signe reproduit ou imité, ici « Fuckbook », suffisamment proche pour prêter à confusion.
  3. La nature des produits ou services : s’ils sont identiques ou similaires, le risque de confusion s’accroît.

Dans l’arrêt rendu, la Cour de cassation confirme la contrefaçon : l’usage de « Fuckbook » porte atteinte à la marque « Facebook », dans la mesure où les deux signes se ressemblent notablement (seule la première lettre diffère), et que les services proposés sur Internet peuvent être confondus par une partie du public.

Cette décision illustre un principe bien connu en droit des marques : plus la marque antérieure est célèbre ou notoire, plus sa protection s’étend et plus les juges se montrent attentifs à tout risque de confusion, même dans un secteur d’activité qui peut sembler éloigné.


3. De la concurrence déloyale : l’autre facette de la protection

Au-delà de la contrefaçon, la société Meta invoquait également la concurrence déloyale, fondée sur l’article 1240 du Code civil. Cette action vise à sanctionner un comportement fautif susceptible de causer un préjudice à un concurrent. Autrement dit, même si un signe n’est pas strictement couvert par le droit des marques, il peut être protégé par l’action en concurrence déloyale.

Dans le cas présent, la Cour de cassation s’appuie sur la « théorie des faits distincts ». Cette théorie souligne qu’un même acte matériel (l’utilisation d’un signe similaire à « Facebook ») peut entraîner deux préjudices de nature différente :

  1. La contrefaçon de marque sanctionne l’atteinte à un droit privatif conféré par l’enregistrement d’une marque.
  2. La concurrence déloyale vise quant à elle la protection d’autres éléments distinctifs, comme le nom commercial (« Facebook » pour désigner la société exploitante) ou le nom de domaine (« facebook.com »), qui ne relèvent pas nécessairement du droit de la propriété industrielle.

Ainsi, la Cour de cassation rappelle qu’il existe une différence fondamentale entre un nom de domaine, un nom commercial et une marque :

  • La marque : protège un signe utilisé pour distinguer des produits ou services.
  • Le nom commercial : identifie une entreprise dans son activité professionnelle.
  • Le nom de domaine : permet d’accéder à un site internet.

Dès lors que l’atteinte à ces signes d’identification n’a pas déjà été compensée par l’action en contrefaçon et qu’elle génère un préjudice distinct, la concurrence déloyale peut être invoquée.

Pourquoi un préjudice distinct ?
Parce que l’atteinte à la marque n’a pas la même portée que l’atteinte au nom commercial ou au nom de domaine. Dans le cas de la marque, c’est le « monopole » légal sur un signe pour des produits ou services déterminés qui est bafoué. Dans le cas du nom commercial ou du nom de domaine, on touche davantage à l’identité de l’entreprise et à ses efforts pour se faire connaître et fidéliser sa clientèle.


4. Les enseignements pratiques : comment protéger efficacement ses signes ?

Cette décision de la Cour de cassation a une portée importante pour toutes les entreprises, quelle que soit leur taille :

a) Ne pas négliger la multiplicité des droits

L’arrêt nous rappelle qu’il est primordial de protéger à la fois :

  • Ses marques, par un dépôt à l’INPI (Institut national de la propriété industrielle) ou auprès d’organismes équivalents au niveau international.
  • Son nom commercial, souvent enregistré au Registre du Commerce et des Sociétés (RCS) ou intégré dans les statuts.
  • Son nom de domaine, en le réservant auprès d’organismes officiels.

En cas de litige, cette pluralité de protections juridiques peut faire la différence. Elle permet d’engager plusieurs actions distinctes, chacune couvrant un aspect différent de l’atteinte.

b) Justifier du préjudice réellement subi

Pour obtenir la réparation intégrale, il faut établir que chacune des atteintes a généré un préjudice spécifique. Si la société Meta a pu cumuler contrefaçon et concurrence déloyale, c’est parce qu’elle a démontré :

  • Un préjudice sur sa marque (risque de confusion et perte potentielle de valeur de la marque).
  • Un préjudice lié à l’usage fautif de « Fuckbook » en nom commercial et nom de domaine, susceptible de brouiller l’identité de l’entreprise et d’entraîner un détournement de clientèle.

c) Le pouvoir d’appréciation du juge

Autre point saillant : la Cour de cassation a validé l’appréciation souveraine des juges du fond quant au public visé et au risque de confusion. Cela souligne l’importance de bien argumenter et de documenter son dossier. Chaque preuve, chaque enquête de notoriété, chaque étude de marché sur la perception du public peut influer sur la décision.

d) Un signal fort contre la « copie malicieuse »

Enfin, cette décision envoie un message clair : même une altération partielle ou humoristique d’une marque renommée peut tomber sous le coup de la contrefaçon et de la concurrence déloyale. L’idée de parodier ou de détourner un nom célèbre n’est pas un rempart juridique suffisant si le risque de confusion est réel.


5. Vers une protection à 360° des signes d’identification

Le litige Facebook vs. Fuckbook illustre la nécessité pour toute entreprise de maîtriser la protection de ses signes d’identification sous différents angles : marque, nom commercial, nom de domaine. La Cour de cassation confirme que ces droits peuvent coexister et se cumuler devant les tribunaux, dès lors qu’ils protègent des intérêts distincts.

Pour les acteurs du numérique, souvent soumis à une concurrence internationale féroce, cette décision résonne comme un rappel essentiel :

  • Anticipez en déposant vos marques, en réservant vos noms de domaine et en déclarant votre nom commercial.
  • Réagissez rapidement face à toute imitation ou usage abusif, afin de préserver votre réputation et votre clientèle.
  • Pensez globalement : en cas de conflit, examinez toutes les voies de droit disponibles (contrefaçon, concurrence déloyale, parasitisme) pour obtenir la réparation la plus complète.

En somme, la « théorie des faits distincts » confirme que le droit français, loin de se borner à une approche unique de la protection, offre un panel d’actions pour défendre efficacement un portefeuille de droits. À l’heure du digital, où la notoriété d’une marque peut être détournée en quelques clics, cette complémentarité se révèle plus que jamais indispensable pour assurer une protection à 360°.

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